Les épreuves performatives de la concertation de quartier : le cas de la Revitalisation urbaine intégrée du quartier Hochelaga

montreal

Proyectos estudiantiles
9 marzo 2020

Cette thèse réaffirme l’importance des discussions sans détour et des rencontres en face à face au sein des dispositifs de concertation de quartier.

Par Maxime Boucher

La planification urbaine qui passe par des discussions au sein des dispositifs de concertation s’appuie le plus souvent sur les dimensions aménagistes, sociales et économiques. Ces trois dimensions se traduisent à travers des enjeux concrets que vont défendre les parties prenantes de la planification, en insistant pour les uns sur la transformation du cadre urbain, alors que les autres vont plutôt miser sur le développement social ou le dynamisme économique.

Dans ce contexte, l’approche intégrée de la planification vise à produire des interactions entre ces trois dimensions afin que l’une ne prévale pas sur les autres. Or, on s’aperçoit rapidement d’un déséquilibre parmi celles-ci, par une priorité qui est accordée aux projets de revitalisation qui opèrent des transformations concrètes et visibles.

L’incapacité à inclure la dimension sociale dans la planification urbaine tient pour beaucoup à son caractère flou et difficilement « mesurable », puisqu’en l’absence d’indicateurs précis, ce sont par contraste le réaménagement d’espaces publics et la revitalisation d’artères commerciales qui donnent le plus à voir. L’invisibilité relative de la dimension sociale tient également à la difficulté à l’inscrire durablement à l’agenda des préoccupations, ce qui suppose la nécessité d’une présence constante de ses porteurs au sein des dispositifs.

S’il peut être aisé de tenir des discussions autour du réaménagement d’un parc ou de l’ouverture de nouveaux commerces, il s’avère en revanche plus difficile de discuter des effets qui accompagnent tout geste de revitalisation qui parfois, et sans le vouloir, sont au détriment des personnes les plus vulnérables. L’apparition de discussions autour de l’(in)hospitalité des espaces publics vis-à-vis les personnes marginalisées, la gentrification, le déplacement forcé des personnes et la pression qui s’accentue sur le logement, rappelle à quel point la planification urbaine peut produire des inégalités.

Ce qui a été fait en 2019

L’étude du cas de la Revitalisation urbaine intégrée (RUI) du quartier Hochelaga a permis de produire des analyses entre 2018 et 2019 qui ont mis en lumière l’inégalité des discours aménagistes, sociaux et économiques au sein des discussions entre les partenaires de la démarche. Les analyses ont mis l’accent sur le caractère éprouvant de la prise de parole en public lors des rencontres de la RUI Hochelaga, qui réunissent depuis 2012 une multitudes d’acteurs provenant des groupes communautaires, des représentants de l’administration public, des élus politiques, des développeurs commerciaux, des experts et des citoyens.

Les analyses montrent clairement que les acteurs mobilisent des compétences lorsqu’ils prennent la parole s’ils veulent défendre « habilement » des enjeux et les points de vue qui s’y rattachent. Ces compétences communicationnelles recoupent notamment le tact, la diplomatie, l’aisance devant un public, les rhétoriques qui sont mobilisées pour convaincre, les stratégies, l’usage des émotions pour susciter l’indignation ou l’enthousiasme autour d’un projet, etc. Ces résultats ont fait l’objet de présentations aux Colloques annuels de la SQSP et de l’ACFAS, et la parution d’un texte dans les Actes du Colloque Tisser des liens : perspectives interdisciplinaires sur le travail relationnel[1].

Ces premières analyses font apparaître, par contraste, des profils d’engagement de participants qui critiquent et réfutent les projets de la RUI Hochelaga, s’opposent à la revitalisation du quartier en affichant très ouvertement leur mécontentement à l’égard de la valorisation d’une revitalisation dominée par les dimensions aménagiste et économique. Cette figure du « récalcitrant » a permis de constater combien les dispositifs tolèrent moins les prises de parole trop ouvertement politisées, en tenant loin des discussions les sujets tabous et plus difficiles.

[1] Boucher, M. (2019). Les épreuves performatives de la concertation de quartier. Dans Courcy I. et Farinas, L. (dir.), avec la collaboration de G. Grenier et N. Lemire (sous presse). Tisser des liens : perspectives interdisciplinaires sur le travail relationnel. Actes du colloque (486) tenu le 9 mai 2018 dans le cadre du 86e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). Université du Québec  à Chicoutimi, Chicoutimi, Canada.

Résultats préliminaires

La poursuite des analyses a permis d’identifier trois périodes charnières de la RUI Hochelaga et de produire une ligne du temps à partir de celle-ci.

On repère ainsi, à partir de la naissance (1) du dispositif, qu’apparaît une volonté chez une poignée d’acteurs de faire apparaître les enjeux sociaux du quartier Hochelaga dans les discussions. Ces acteurs, en interpelant des protagonistes clés de la démarche RUI, parviennent à susciter, bien que timidement, des discussions et des débats lors des rencontres. Ce faisant, ils parviennent graduellement à mettre en crise (2) le dispositif de concertation de la RUI Hochelaga, en suscitant des controverses par la transgression des normes les plus flagrantes. C’est en s’indignant en public, en exprimant fortement des émotions et en créant des malaises que l’attention se tournera graduellement vers les préoccupations et les enjeux sociaux du quartier. La mise en crise du dispositif de la RUI Hochelaga produit également une prise de conscience chez les partenaires de la démarche, ce qui engendrera une série de transformations (3) qui vont du changement d’acteurs chargés de l’animation des rencontres, à la mise en place d’un nouveau cadre de gouvernance et l’inscription durable des préoccupations aux ordres du jour et aux comptes rendus des rencontres.

Cette lecture du dispositif de la RUI Hochelaga a fait l’objet d’une communication dans le cadre des travaux du GT21 – Diversité des Savoirs qui a tenu son premier Colloque international à Namur, en Belgique en 2019. Le texte de la présentation a été travaillé pour en faire un chapitre du livre Injustices épistémiques : comment les comprendre, comment les réduire ? (Éditions ÉSBC, à paraître en 2021). Ces analyses ont également donné lieu à une présentation à l’ACFAS au Colloque Agir ensemble pour démocratiser l’action publique en éducation et en santé et services sociaux : par quelles pratiques et par quels espaces de collaboration? Un texte est en préparation pour publication dans un numéro spécial des Cahiers de recherche sociologique intitulé « Agir collectif et pratiques de résistances – Démocratiser l’action public ».

Cette possibilité de transformer sans « casser totalement le dispositif », pour paraphraser Mathieu Berger[1], suggère que l’apparition de la figure du participant récalcitrant peut participer à l’évolution des dispositifs de concertation, lorsqu’ils parviennent à les (ré)investir, selon une volonté explicite de les transformer.

Une quatrième période s’ajoute puisque la Ville de Montréal souhaitait procéder depuis 2018 à une révision de son programme RUI, après 15 ans d’existence sur l’ensemble du territoire montréalais. La réforme (4) produit un changement d’échelle par une révision de l’approche territoriale et  l’identification des quartiers d’intervention prioritaire. Il semblerait que les volontés de la Ville de Montréal à satisfaire à des exigences en matière de revitalisation des quartiers montréalais passe également par une redéfinition des paramètre et des balises qui orientent les champs d’intervention de la revitalisation, plongeant dans l’incertitude les démarches RUI déjà en place.

L’annonce du nouveau programme – le Programme de revitalisation des quartiers montréalais (PRQM) – allait ainsi confirmer le désir de rapprocher les Tables de quartier mandataires d’une démarche RUI de leur Arrondissement respectif. Cette transformation dans la culture du travail de collaboration entre les Tables de quartier et les Arrondissements vise à produire une stratégie commune d’intervention, c’est-à-dire les amener à concevoir et partager une vision commune en réponse aux enjeux locaux.

Il est encore trop tôt pour identifier concrètement les impacts qu’aura le PRQM dans la transformation des quartiers montréalais. On observe toutefois une transformation majeure de la gouvernance du PRQM, puisque la revitalisation à l’échelle du quartier passe désormais par une responsabilité partagée entre les Arrondissements et les Tables de quartier, en plus de l’arrivée d’un comité stratégique formé des directions des services centraux qui viendra contribuer à l’élaboration et au développement des projets.

Ce qui est prévu cette année

Après avoir présenté les résultats de la recherche aux partenaires de la RUI Hochelaga, il est prévu de travailler conjointement avec ces derniers sur un outils visant à définir les contours de l’hospitalité des espaces de concertation en matière de planification urbaine. L’étude de cas de la RUI Hochelaga permettra ainsi de traduire les constats en actions visant à inclure une plus grande variété de profil d’engagement et leur originalité.

À cet égard, un aspect moins traité dans la thèse suggère que l’esthétique de l’indignation en public, tout comme les démonstrations bruyantes et exagérées de sentiments tels que la colère, contribue à produire une prise de conscience et un changement de perspective chez les acteurs qui en sont les témoins. Il semblerait, pour être plus précis, que cette esthétique de l’indignation contribue à accélérer la prise de conscience, bien qu’elle produise par ailleurs de nouveaux clivages.

Cette perspective sera discutée dans un texte intitulé « Participer sans se crisper » dans le no 86 de la revue Lien social & Politiques – Le pouvoir des émotions (à paraître au printemps 2021).

[1] Berger, M. (2019). Le temps d’une politique. Chronique des Contrats de quartier bruxellois. BUP Bruxelles urbanisme et patrimoine – CIVA, Belgique, Bruxelles : 226 p.